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February 8, 2007

Ismaïl Haniyeh by Caroline Mangez

Filed under: News, Photo, Reportage — pix4notes @ 2:49 pm

Chaque fois qu’Ismaïl Haniyeh débarque dans ses bureaux de Gaza le gros barbu qui lui sert de chauffeur ne peut s’en empêcher…Il appuie à fond sur la pédale de frein, histoire de faire crisser les pneus de cette Mercedes verte d’occase choisie exprès pour contraster avec les limousines neuves des corrompus de l’ancien régime. En neuf mois de pouvoir, Haniyeh, le cacique du Hamas, a beaucoup appris. Désormais, il ne lui faut qu’une fraction de seconde pour repérer un objectif braqué sur lui et déclencher son sourire « Ultra Bright». Mais, ce lundi matin, à dix jours du premier anniversaire de législatives qui ont fait de lui l’un des rares Premiers ministres arabes élu, sa mâchoire résiste. Une intense activité diplomatique pour relancer le processus de paix israélo-palestinien est en cours dont il est totalement exclu. Le bras de fer entre son mouvement et celui du président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas l’épuise. Cerise sur le gâteau : Condolezza Rice, en tournée dans la région, vient d’offrir 86,4 millions de dollars (66 millions d’euros) à ce dernier pour renforcer ses services de sécurité. Pour Haniyeh, c’est clair, les Américains ne se gênent même plus pour jeter publiquement de l’huile sur le feu d’une guerre civile qui couve. Ils ont choisi leur camp. Leur but est limpide : «faire chuter le gouvernement.»
Dans dix minutes, Haniyeh doit assurer un direct d’une heure trente avec Al-Manar, la chaîne du Hezbollah. Il dénoncera tout ça. En attendant Wael, son directeur de cabinet éduqué à Londres, lui susurre à l’oreille les derniers conseils, meuble le vide d’une table de travail en y déposant un sous-main en simili croco, un bloc note vierge, un stylo, une bouteille d’eau. Haniyehbouillonne. Le temps de régler la liaison satellitaire avec Beyrouth, devant la télé de ces cousins libanais, avec lesquels il partage mêmes soutiens et mêmes inimitiés, Haniyeh persiste : “Le Hamas ne reconnaîtra jamais la légitimité de l’occupation. »

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Depuis des mois, le Premier ministre palestinien  ne dort plus que trois heures par nuit. Il affiche une mine décomposée et rougeaude sous un keffieh blanc qui protége du froid son crâne pieusement rasé à La Mecque. Il n’en finit pas de rajuster cette étoffe de coton blanc. Moins par coquetterie sans doute que pour se rappeler l’un des rares bons souvenirs de l’année 2006 de ce grand dévot. Depuis sa naissance dans le camp de réfugiés de Chatti, à Gaza, où son père, humble pêcheur de Jaffa fut chassé pour faire place à l’état d’Israël en 1948, Ismaïl Hanyieh, 44 ans, comptent ceux-là sur les doigts d’une main. Peut-être son mariage avec sa cousine Amel, à 16 ans, précipité afin que ce père malade puisse en être témoin. La naissance de ses treize enfants sûrement. La dernière, Sara, n’a que deux ans. Abdel Salam, 25 ans, l’aîné, lui voue un culte indéfectible, sculpte la légende : « manquer de sommeil, pour lui ce n’est rien. Ce sont les Israéliens qui lui ont appris à résister ! Il raconte souvent comment une fois ils l’ont quasiment empêché de dormir 78 jours d’affilés parce qu’ils n’arrivaient pas à le faire parler en le battant. Notre mère est la colonne vertébrale, c’est elle qui nous a élevé. Petit chaque fois que je lui demandais où était mon père, elle répondait : en prison. Il m’est arrivé de ne pas le voir du tout pendant trois ans de suite. Et même quand il était libre, ici à Gaza, il passait les trois quarts de ses journées dehors à faire de la politique.»
«Comment va notre grand pèlerin du Hadj ? », claironne  désormais Abdel Salam à la cantonade chaque fois qu’il débarque dans les bureaux de son vénéré père.
Depuis qu’Ismaïl Haniyeh a décidé de déserter le bâtiment officiel en principe dévolu à sa fonction, lasse de la mauvaise volonté affichée à son égard des fonctionnaires hérités de l’ancienne administration, il travaille là avec une équipe rapprochée. Cent pour cent Hamas. Dans ce « Matignon » palestinien, quelconque baraque de quatre étages du quartier de Nassera à l’orée du centre ville, on croise bien plus de gardes du corps en armes que de conseillers en costumes. «Je fais le travail de dix, pour embaucher il faudrait demander l’assentiment du président par décret…De toute façon il n’y a pas de quoi payer les salaires », soupire le seul d’entre eux, le Dr Ahmed Youssef.  En grâce depuis qu’une balle palestinienne destinée à Haniyeh lui a arraché une phalange lors de la fameuse fusillade du 14 décembre au poste frontière de Rafah qui sépare Gaza de l’Egypte, le conseiller politique est omniprésent. « Six à huit heures par jour », ce Frère musulman jovial se raccroche au monde par son ordinateur, cherchant sur les blogs des solutions pour rompre l’isolement. « Je chat avec treize groupes d’échanges de la région, là j’ai 1600 emails en attente… Je suis le plus mauvais pour y répondre, mais parfois ils me donnent des idées », dit-il dans un anglo-américain acquis dans les années 80-90 entre Los Angeles et le Colorado. Depuis vingt-quatre livres, Ahmmed Youssef s’évertue à démontrer que les Islamistes en général, et le Hamas, son mouvement, en particulier, bien que pionnier en matière d’attaques suicides, est «plus modéré et ouvert qu’on l’imagine. » Par les temps qui courent, il enrage particulièrement contre les Occidentaux : «ces gens qui nous ont fait valoir les mérites de la démocratie, incité à aller aux élections, pour mieux nous claquer la porte au nez. A peine nous parlent-ils qu’ils culpabilisent, comme s’ils venaient de s’entretenir avec le diable !»
Mise au point par un spin doctor, grâcement rémunéré par le mouvement à la veille de sa victoire électorale, une rhétorique châtiée a toujours publiquement cours. Haniyeh a beau parler realpolitik, mettre en avant les enjeux domestiques, s’abstenir de professer la haine des juifs, évoquer Israël plutôt que , mettre la pédale douce sur une charte qui prône la destruction de l’état hébreu, rappeler qu’il n’a jamais joué aucun rôle dans les opérations militaires du mouvement qu’il ne contrôle pas la branche armée et suggérer qu’il ne va pas toujours aussi loin qu’il le souhaite, ça ne fonctionne pas. Si à Gaza, la rue salue presque unanime son charisme et son humilité, ailleurs, celui qui incarne l’image polie du nouveau Hamas « amical » n’obtient pas encore l’effet escompté. La levée du blocus imposé par la communauté internationale depuis avril à son gouvernement tarde à venir.
«Haniyeh est souriant, son apparence est acceptable, mais il est le fruit d’un parti qui a des principes », résume lucide Hoda Naïm, enseignante et jeune député Hamas. En refusant de désarmer son mouvement, de reconnaître le droit à l’existence d’Israël, d’honorer les accords de paix signés par ses prédécesseurs, Haniyeh continue de priver les Palestiniens d’aides internationales qui, avant l’avènement du Hamas au pouvoir, constituaient la moitié du budget annuel, soit un milliard de dollars. « Plutôt survivre à l’infini en nous nourrissant de sel et d’olives » claironne sa bande. « Les lentilles, c’est le plat du pauvre chez nous. J’en mange deux ou trois fois par semaine », s’exclame triomphalement Ismaïl Haniyeh en raclant les plats sur une nappe blanc et or couverte d’un plastique transparent dans le garage réhabilité en vaste bureau salle à manger. «On a construit cette pièce digne de son statut avec tous ses voisins pendant qu’il était à La Mecque. Si on ne lui avait pas fait la surprise, jamais il n’aurait accepté. Il est encore plus simple que vous ne l’imaginez», dévoile, entre deux rasades de Seven Up, Khaled Haniyeh, 60 ans, quinze enfants et quarante-cinq petits-enfants, le plus âgé des frères d’Ismaïl.
Bien que 65% des Palestiniens vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté contre 50%, en mars, lors de l’entrée en fonction de son gouvernement, Haniyeh résiste : “le pari de la défaite du Hamas grâce aux sanctions sera perdu.»
«Les nouvelles sont toujours mauvaises. On se doit de rester optimiste, mais parfois on éprouve un grand découragement à force d’impuissance. La situation est frustrante, le siège que nous subissons très brutal… Cela atteint Ismaïl Haniyeh comme nous tous», admet pourtant le Dr Youssef.»  Les épaules pourtant larges de cet ancien footballeur amateur se voûtent sous le poids du fardeau. Ligne de mire des Israéliens pour lesquels il n’est qu’un terroriste planqué sous un costume de mauvaise facture, il a sur le dos 3,7 millions de Palestiniens la plupart affamés qui se déchirent sur un territoire isolé et assiégé de tous côtés.
«Depuis l’avènement du Hamas, plus personne ne fait de pressions pour qu’Israël soulage un peu le quotidien des Palestiniens qu’ils étranglent à volonté. Ils ont une bonne excuse : des « terroristes » ont pris le pouvoir à côté de chez eux», ironise Ahmed Youssef. Pour limiter la casse, Haniyeh, recteur de l’Université Islamique dans une de ses autres vies, consulte beaucoup son équipe. « Il n’hésite pas à prendre l’avis d’experts et technocrates sur les dossiers difficiles», confie son conseiller. À la tête d’une administration quasi paralysée, Alaa El Haradj, ministre bon teint de l’Economie, affilié au Hamas mais désigné, dit-il, pour sa seule expertise, se prend la tête lorsqu’il s’agit d’évoquer un bilan. «On a amélioré les normes de fabrication et de production, homogénéiser les statuts des sociétés, baisser la T.V.A d’un point et demi, préparé des lois qu’on fera voter quand le calme et la stabilité seront revenus… » Des mesures et des promesses qui ont le mérite de ne rien coûter. Autour de la grande table rectangulaire du conseil des Ministres, chaque mardi, en visioconférence avec les autres ministres en poste à Ramallah, « on passe, dit-il, notre temps à gamberger à des astuces pour contourner le siège doublé du blocus international, et éviter de mettre dans l’embarras les rares pays arabes qui sont prêts à discrètement nous financer… » Le système « D » fonctionne à plein. Des dizaines d’associations ou de fondations ont été agréées ces derniers mois. Autant que durant les douze ans de règne du Fatah. Ce sont par elles que transite l’argent de ces bienfaiteurs, Iraniens, Syriens ou Saoudiens pour la plupart, destinés à financer les projets validés par le gouvernement. Cette sorte d’administration parallèle permet de déjouer, en partie, la traque des circuits bancaires de Washington et de l’Union européenne contre le Hamas qui figure sur leur liste des organisations terroristes. «On a aussi organisé à un Téléthon pour le gouvernement qui nous a permis de récolter quelques millions de dollars. On a même reçu des dons d’Amérique Latine ! », se targue le même ministre de l’Economie. Pas de quoi se pâmer. « Rien que pour s’acquitter des salaires des fonctionnaires, sans parler des arriérés», se lamente Ahmed Youssef.
C’est ainsi qu’un soir de décembre, revenant d’un périple chez ses voisins arabes, Ismaïl Haniyeh s’est fait prendre la main dans le sac à la frontière, tentant de faire entrer clandestinement dans Gaza trente-deux millions de dollars en grosses coupures.

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«Chaque valise diplomatique en contient cinq », précise expert un de ses fils. Six ou sept fois la manœuvre a fonctionné à l’insu des observateurs européens, de la garde présidentielle et des Israéliens qui surveillent la frontière de Rafah via des caméras. Recordman : Mahmoud Zahar, faucon du parti, ministre des Affaires étrangères, rentré un jour avec 40 millions de dollars en espèces. «Dire qu’un Premier Ministre en arrive à prendre de tels risques pour soulager son peuple, c’est navrant. Croyez-moi on est très loin d’en plaisanter lors de nos conseils», précise un ministre. À la gauche de Haniyeh siège celui de l’Intérieur Saïd Siam, son vieux complice, filiforme, l’air complètement usé. Il y a de quoi : le gouvernement n’a jamais réussi à mettre la main sur un appareil sécuritaire dont la plupart des membres militent au Fatah. Arguant du non-paiement de leurs salaires depuis des mois, flics, juges et autres, quand ils ne sont pas en grève, assurent au mieux un service public minimum. Quand ils ne manifestent pas devant le Parlement empêchant la plupart des sessions de se tenir. Abdel Salam Haniyeh, a une vision radicale de ces choses : «toutça est savamment orchestré par une clique de collaborateurs d’Israël qui s’étaient partagés la bande de Gaza au temps du Fatah et qui craignent de perdre leurs privilèges. » Dès que son agenda très serré le permet, Ismaïl Haniyeh s’isole à son bureau, allume l’ordinateur et lit tous les papiers d’opinion qui le concernent. Peut être aussi, mais il ne le dira jamais, jette-t-il un coup d’œil à la guerre putride des communiqués que se livrent l’aile dure de son parti et celle du Fatah, s’accusant mutuellement d’ourdir les plus sombres complots contre leurs dirigeants. De sa popularité dépend la survie précaire de ce gouvernement menacé. «Les gens voient bien que je vais visiter mon père jusqu’à son bureau pieds nus dans ses sandalettes en plein hiver, que nous partageons les mêmes souffrances qu’eux, qu’on fait ce qu’on peut, explique Abdel Salam. Depuis qu’il est Premier Ministre, nous n’avons pas changé de maison, ni de train de vie.» Pas de frais de mission, pas de logements de fonctions.
«On a abandonné tout ce dont on n’avait pas besoin. Les dépenses en carburant du précédent gouvernement s’élevaient à un milliard de dollars, moi je me suis déplacé six mois avec ma propre voiture. La seule chose que nous n’avons pas pu changer, c’est le salaire des ministres parce qu’il faut l’aval du Président », confie Alaa El Haradj, le ministre de l’Economie. Le genre d’abnégation qui calme par temps de disette.  Le côté un peu « province » du Premier Ministre passe bien lui aussi. Chaque jour, à la porte de son domicile, se frayant un chemin parmi la vingtaine d’hommes en noirs de la force exécutive du Hamas qui veillent sur le chef, une quarantaine de personnes défilent pour quémander son aide. «Toute la famille s’en charge en essayant de trouver pour chacun une solution », raconte le fils. La maison repeinte en blanc et agrémentée de moulures vertes où le clan Haniyeh s’entasse à dix-neuf a à peine plus d’allure que celles de parpaing du voisinage. À chaque extrémité de cette ruelle étroite qui donne sur la plage, des chicanes font barrages.
À la portée de n’importe quel commando de plongeurs de l’armée israélienne, on l’a souvent prié de déménager. Il a toujours refusé malgré trois tentatives d’assassinat dont deux récentes. «La première fois c’était il y a des années, un F-16 Israélien, énumère Abdel Salam. Il y a quatre mois, une lettre anonyme lui a été adressée à Ramallah. Les cinq personnes entre les mains desquelles elle est passée ont été empoisonnées aux dires des médecins jordaniens qui les ont soignés. Et puis il y a eu à la frontière, cette fusillade entre Palestiniens le 14 décembre… » La marque d’une balle dans sa joue témoigne de la proximité qui les lie. «Des collabos qui prennent leurs ordres chez les Israéliens. Ce jour-là c’était moi, demain ce sera peut-être lui. Je crois qu’ils continuent de vouloir l’abattre parce qu’il est la tête la plus visible du Hamas. Ils n’attendent qu’une opportunité. Depuis longtemps, chaque fois qu’on entend un hélicoptère approcher de la maison, on se dit, ça y est, c’est pour lui.» Ismaïl Haniyeh trouve là la paix qu’il s’est choisi. Un jour pour semaine, il s’enferme en famille. « C’est vital pour lui », dit Abdel Raman. «À Gaza, ajoute-t-il, tout le monde parle tout le temps politique, nous on évite parce que c’est trop pour lui. Ces derniers temps quand il rentre, il est cuit, on le sent et l’on change de sujet.» Ismaïl Haniyeh sait que ces jours sont ceux de la dernière chance. Pour parvenir à un gouvernement d’union national qu’il appelle de ses vœux depuis le premier soir, celui de la victoire, il y a un an, il ne cède pas un pouce de terrain mais ne ménage pas les efforts. Il est de tous les colloques à Gaza quand c’est à Damas, en Syrie, que tout se joue. Ce samedi soir, 20 janvier 2007, Khaled Mechal, le chef politique en exil de son parti, et Mahmoud Abbas doivent en principe se rencontrer. Plusieurs fois dans la semaine, le rendez-vous a manqué être annulé. Le fauteuil de Premier Ministre est en jeu. Faute d’accord, le président de l’autorité a répété qu’il organiserait des élections anticipées. Dans l’ombre, les forces du Hamas comme celles du Fatah n’en finissent pas de se renforcer en vue d’un éventuel affrontement. Seul chez lui, Haniyeh, très tendu, passe des heures sur son portable. La rencontre de Damas est annulée. Devant la maison de Chatti, ses fils éloignent les importuns sous l’œil aux aguets des cerbères. En pleine nuit, il part avec deux autres ministres visiter un riche humaniste de la ville, réputé proche du travailliste israélien Shimon Pères. Le lendemain, en pleine forme, le Premier Ministre offre à Israël une trêve de dix ans contre la reconnaissance d’un état palestinien temporaire dans les frontières de 1967. Puis, après avoir avalé à 18H00 un repas frugal avec son frère et son fils, réajuste son keffieh, enfile ces mocassins bien cirés auxquels il tient tant que les gardes du corps n’osent pas les laisser traîner aux portes des mosquées. On l’engouffre dans la Mercedes verte d’occase. «Je file voir ma sœur, dit-il, elle est malade.» Dans moins de trois heures, Abbas aura serré la main de Mechal pour la première fois depuis deux ans. Et quelques jours plus tard les combats opposants leurs deux factions seront plus mortels qu’ils n’ont jamais été. Haniyeh reste une tombe qui ne s’entrouvre que sur ce qu’on l’autorise à laisser voir.
 
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